23 Août 2019

Les premières photos de Ryugu par MASCOT

L’atterrisseur franco-allemand MASCOT a atteint la surface de l’astéroïde Ryugu le 3 octobre 2018. Après presque 4 ans à bord de la sonde japonaise Hayabusa2, il a sauté à la surface en effectuant des mesures et en prenant des photos. Elles constituent les premières images à ce niveau de détails d’un astéroïde carboné, et ses premiers résultats viennent de paraître aujourd'hui dans la revue Science. Patrick Michel est co-auteur de l’étude, membre de l’équipe scientifique d’Hayabusa2 et de MASCOT, et directeur de recherche au CNRS à l’Observatoire de la Côte d’Azur. Et nous en discutons avec lui pour découvrir la surface de l’astéroïde.

Des roches, des graviers mais pas de poussière

L’aventure de MASCOT a commencé par un grand saut de 41 mètres hors d’Hayabusa2, puis un rebond de 17 mètres. Une fois la surface atteinte, le petit robot a effectué des petits bonds de moins d’un mètre. Ses 17 heures d’autonomie lui ont fait assister à trois cycles jour/nuit de l’astéroïde, en s’éclairant avec des LED pendant l’obscurité.

Légende : A, matin tardif. B, nuit. C, midi. D, fin d’après-midi. Le carré blanc visible sur la roche, à gauche à midi et à droite en fin d’après-midi, est le reflet du Soleil dans le réflecteur de MASCOT. Il donne l’orientation exacte de la caméra, pour la relier avec ce qui est vu depuis le satellite. Crédits : DLR

Grâce à la vue en altitude d'Hayabusa2, 4 types de roches avaient déjà pu être identifiés. MASCOT a pu en photographier 2 types de près :

  • Type 1 : sombres, avec une forme arrondie de chou-fleur.
  • Type 2 : claires, avec des surfaces plates et des bords nets.

Crédits : DLR.

Mais « claires » est relatif, étant donné la faible quantité de lumière qu’elles réfléchissent : avec un albedo entre 4 et 10%, ces roches sont aussi noires que l’asphalte.

« Ça fait de Ryugu l’un des objets les plus sombres du système solaire, avec l’astéroïde Bennu et la comète 67P, commente Patrick Michel. Mais le fait d’être aussi proches de la surface nous a surtout confirmé l’absence de grains fins. Il y a des graviers de taille moyenne mais pas de particules fines, typiquement produites par des impacts. C’est une observation qui nous fascine car on s’attend à trouver des grains de toutes tailles, on en a même ramené d’Itokawa (astéroïde visité par la première mission Hayabusa). »

Alors comment expliquer cette absence de poussières et est-ce que cela nous apprend quelque chose sur Ryugu ?

« Il y a trois possibilités. Soit les particules fines produites par les impacts sont systématiquement éjectées du fait de leur vitesse par rapport à la vitesse d’échappement relativement faible de Ryugu. Soit les impacts propagent des vibrations suffisantes pour faire s’envoler les particules fines qui résident déjà à la surface du corps. Soit les vibrations peuvent les avoir fait descendre dans les interstices de l’astéroïde et fait remonter les graviers. C’est ce qu’on appelle l’effet noix du Brésil : avec les vibrations les objets de plus petit diamètre se tassent davantage que les plus gros, qui remontrent à la surface. Ça doit nous dire quelque chose sur Ryugu, mais pour l’instant on ne sait pas encore quoi. »

Des minéraux variés et très peu d’eau

Légende : images en couleur de la caméra MASCam de roches de type 1 (sombres et arrondies) prises la 2e nuit. L’image G montre en contours rouges la surface et la taille des inclusions. Deux types d’inclusions sont légendées : bleutées (flèches oranges) ou rougeâtres (flèches vertes), mais d’autres de différentes couleurs sont abondantes. Crédits : DLR

MASCOT a pu observer la présence dans les roches de nombreuses inclusions multicolores de l’ordre du millimètre. Ces inclusions ressemblent à celles riches en aluminium et en calcium que l’on trouve dans certaines météorites récoltées sur Terre, notamment dans la classe des chondrites carbonées.

« On retrouve ces inclusions dans beaucoup de météorites, mais pas toutes, explique Patrick Michel. C’est grâce à elles qu’on a pu dater l’âge du système solaire à 4,567 milliards d’années, parce que c’est le matériau le plus ancien qu’on ait trouvé. Et la présence de ces inclusions suggère que Ryugu a été faiblement hydraté, parce que l’hydratation peut faire perdre leur trace. C’est cohérent avec ce qu’a vu Hayabusa2 : une faible hydratation, au moins en surface parce que sur l’intérieur on ne sait rien. En comparaison, Bennu est beaucoup plus hydraté. Mais est-ce que cette différence s’explique par leur origine différente, la façon dont ils se sont formés, ou dans leurs évolutions et leurs passages plus ou moins près du Soleil ? »

MASCOT ayant terminé sa mission, il restera l’hôte de Ryugu tandis qu’Hayabusa2 retournera vers la Terre pour y livrer en 2020 les deux échantillons qu’elle a réussi à prélever lors de ses descentes. 18 scientifiques français ont été solicités par l’agence spatiale japonaise JAXA pour participer aux premières analyses des échantillons.

« Grâce à cette mission, conclut Patrick Michel, nous pouvons étudier un astéroïde à toutes les échelles : macroscopique depuis la sonde, microscopique depuis MASCOT et les mini-rovers MINERVAII, et bientôt jusque dans sa composition chimique grâce aux prélèvements. Et c’est très important parce que quand on ramène une roche à un géologue, il a besoin de connaître le contexte géologique de l’endroit où cette roche a été récoltée. Sinon l’interprétation n’est pas la même selon si elle provient, par exemple, d’un lit de rivière ou d’un volcan. Grâce à toutes ces photos et données de MASCOT et Hayabusa2, nous serons bien équipés pour commencer l’enquête de détective que constitue l’analyse de ces échantillons si précieux scientifiquement. Et ce sont seulement les premières publications ! Je suis convaincu et très enthousiaste à l’idée que nous avons encore des années de travail pour comprendre et reconstituer l’histoire de Ryugu, et ainsi remonter aux temps anciens du Système Solaire. »

Publication

Jaumann et al. Images from the surface of asteroid Ryugu show rocks similar to carbonaceous chondrite meteorites, Science 23 Aug 2019:
Vol. 365, Issue 6455, pp. 817-820

Contacts

Patrick Michel
Directeur de recherche CNRS à l’Observatoire de la Côte d'Azur de Nice
Responsable de l’équipe TOP (Théories et Observations en Planétologie), UMR 7293 Lagrange
Courriel : michelp at oca.eu
Tel : +33 4 92 00 30 55  / +33 6 88 21 28 33

Francis Rocard
Responsable des programmes d'exploration du Système Solaire au CNES
Courriel : francis.rocard at cnes.fr
Tel : 01 44 76 75 98 / +33 1 44 76 75 98