15 Mars 2022

Hayabusa2 : 1ers résultats de l’analyse des échantillons de l’astéroïde Ruygu

En décembre 2020, la mission japonaise Hayabusa2 rapportait sur Terre de précieux échantillons de l’astéroïde Ryugu. Comment se mène une telle mission ? Quels sont les premiers résultats de l’analyse de ces 5g de grains extraterrestres ? Rencontre avec Aurélie Moussi - Cheffe de projet Hayabusa2-MASCOT au CNES, Jean-Pierre Bibring et Cédric Pilorget, astrophysiciens à l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS).

Hayabusa2 effectuant un prélèvement sur l'astéroïde Ryugu. Crédits : JAXA/Akihiro Ikeshita

« La mission Hayabusa2 a été lancée en 2014, quelques semaines après que Philae se soit posé sur la comète 67P/Tchourioumov-Gerassimenko, nous dit Jean-Pierre Bibring. Avec la mission Rosetta, nous avons observé sur place un des objets les plus anciens, composé majoritairement de grains carbonés qui ont certainement joué un rôle fondamental lorsque cette matière a été plongée dans l’eau des océans terrestres primordiaux. En cela, la mission Hayabusa2 est la suite de Philae/Rosetta, par le retour d’échantillons d’un objet carboné, très primitif en ce qu’il préserve certaines des conditions de sa formation. C‘est une première. Ils peuvent apporter des informations essentielles sur les origines et l’évolution du Système solaire, de la Terre et de la vie qu’elle abrite. Hayabusa2 ouvre ainsi une nouvelle ère spatiale où une même mission mène à la fois une analyse à distance (en orbite autour de l’astéroïde Ryugu), une exploration in situ (grâce au largage d’un module-atterrisseur à la surface de Ryugu) et un retour d’échantillons sur Terre. »

Jean-Pierre Bibring, Principal investigateur de l'instrument MicrOmega.
Crédits : Laurence Honnorat.

Une histoire mouvementée

Image de l’astéroïde Ruygu prise par la sonde Hayabusa2 le 30 Juin 2018
Crédits : JAXA.

Aurélie Moussi, cheffe de projet Hayabusa2-MASCOT au CNES
Crédits : CNES, Rémi Benoît.

Le 27/06/2018, après presque 4 ans de voyage, la sonde Hayabusa2 de l’agence spatiale japonaise (JAXA) arrive à proximité de l’astéroïde Ryugu. La 1ere surprise est la forme en diamant (ou en toupie) de cet objet d’environ 1 km de large. Les études à distance montrent un corps extrêmement sombre, dont la densité est faible. La faute, suppose-t-on, à une porosité importante.

Le 03/10, la sonde Hayabusa2 largue à la surface de Ryugu l’atterrisseur franco-allemand MASCOT, dont certains éléments, nous dit Aurélie Moussi, sont directement inspirés de l’atterrisseur Philae de la mission Rosetta. Ses batteries ne lui laissent qu’une autonomie limitée estimée à 17h. Un temps court mais suffisant pour effectuer les prises de mesures programmées. À son bord se trouve l’instrument MicrOmega, développé par l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS) avec le soutien du CNES, dont la mission est d’observer et d’analyser la composition chimique des grains de surface de Ryugu. Mission réussie pour MASCOT, malgré le fait que la surface de Ryugu se trouve être sensiblement différente à ce qui avait été anticipé (absence de régolithe, notamment), rendant plus complexe l’analyse des mesures.

Puis viennent les 2 prises d’échantillons par Hayabusa2, en février et juillet 2019. La 1ere prélève des grains de surface, alors que la 2e s’effectue suite à la création d’un cratère artificiel sur Ryugu afin de disposer de matière issue d’une plus grande profondeur.

Après 1 an de voyage, Hayabusa2 largue son précieux contenu sur Terre en décembre 2020. Les fragments, toujours scellés dans leur capsule, sont immédiatement récupérés en Australie et envoyés au Japon où les analyses commencent, après que les grains aient été placés dans une chambre spéciale permettant à la matière de Ryugu de ne jamais se trouver au contact de l’environnement terrestre.

Analyses et résultats

La quantité de grains collectée avoisine les 5 g. D'après Aurélie Moussi, c’est 50 fois plus que ce qui était espéré à l’origine.
Une fois sur Terre, cette matière est divisée en 3 groupes :

  • une partie est réservée aux analyses (quelques centaines de grains parmi ce stock seront même mis à disposition de la communauté scientifique dans les prochains mois)
  • une partie est stockée pour réserver leur étude à des technologies futures
  • une dernière partie est donnée à d’autres agences (par exemple à la NASA en vertu d’un accord de coopération entre la NASA et la JAXA, en échange d’échantillons de la mission américaine Osiris-REX)

L’analyse, sur place au Japon, est menée par un 2e appareil MicrOmega, similaire à celui qui équipait l’atterrisseur MASCOT. Son installation et son utilisation au Japon résulte d’une coopération forte entre le CNES et la JAXA. L’avantage de ce microscope multispectral infrarouge est qu’il peut observer et étudier la composition de ces grains sans contact, de manière parfaitement non-destructive et non-contaminante.

« Les 1ers résultats, nous dit Cédric Pilorget, nous confirment tout d’abord que les échantillons ramenés sont bien représentatifs de la surface de Ryugu.
MicrOméga nous montre des grains composés d’un matrice très sombre, hydratée dans lesquels sont mélangés de manière très intime des composés organiques. On y trouve aussi des inclusions de composition très différente, des carbonates issus de l’altération de composés anhydres, des composés riches en azote et d’autres produits encore à l’étude qui devraient permettre de mieux comprendre la formation et l’évolution de Ryugu. »

L'existence de composants hautement volatils et de matière organique qui provient probablement du système solaire externe, suggère que Ryugu conserve bien des matériaux et des substances primitifs.

Cédric Pilorget, 1er auteur de l'étude. Crédits : Cédric Pilorget.

À gauche : image microscopique d’inclusions riches en OH (en haut) et NH (en bas).
À droite : analyste spectroscopique infrarouge de ces grains par l'instrument MicrOmega.
Crédits : Pilorget et al.

Ces grains carbonés sont très proches d’une classe très rare de météorites primordiales dont on a retrouvé que quelques exemplaires sur Terre : les chondrites CI. Ces météorites carbonées, anciennes, très friables et très fragiles, ont tendance à se désintégrer lors de leur rentrée atmosphérique et peuvent évoluer une fois au sol, par interaction avec l’environnement terrestre.

Les échantillons de Ryugu, qui sont ici parfaitement préservés, constituent donc des échantillons extrêmement précieux pour déchiffrer les conditions de formation et d’évolution du Système solaire.

Météorite d'Orgueil, chondrite CI tombée en France en 1864.
Crédits : Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris.

Publications

Pour aller plus loin

Contacts

  • Aurélie Moussi
    Cheffe de projet Hayabusa2-MASCOT au CNES
    Mail : aurelie.aoussi [at] cnes.fr
  • Jean-Pierre Bibring
    Astrophysicien à l'Institut d’Astrophysique Spatial (IAS)
    Tél : +33 1 69 85 86 86
    Mail : jean-pierre.bibring [at] ias.u-psud.fr
  • Cédric Pilorget
    Astrophysicien à l'Institut d’Astrophysique Spatial (IAS)
    Tél : +33 1 69 85 87 32
    Mail : cedric.pilorget [at] ias.u-psud.fr